Introduction – contexte
L’industrie de la construction et de la rénovation est face à d’importants défis. Les problèmes d’approvisionnement des derniers mois laissaient présager des hausses de prix des travaux. Ce qui était « prévisible » s’avère maintenant une réalité.
Face à une hausse importante du coût de certains matériaux, plusieurs associations de professionnels de la construction recommandent que les soumissions prévoient clairement les modalités applicables lorsque des coûts supplémentaires sont envisageables en raison de pénurie de matériaux ou de fluctuation importante du prix de ces matériaux.
Dans un contrat purement privé, les négociations sont possibles et il est effectivement recommandé de prévoir avec les donneurs d’ouvrage comment le risque de fluctuation du coût des matériaux sera réparti (ex : ajustement du prix après un certain % de fluctuation des coûts). Nous vous invitons d’ailleurs à faire preuve de prudence et à bien rédiger vos ententes commerciales considérant les augmentations substantielles annoncées. La profitabilité de vos opérations peut en être fortement affectée.
Nous nous penchons aujourd’hui essentiellement sur les soumissions déposées par l’intermédiaire du BSDQ ou dans un contexte semblable.
L’égalité des soumissionnaires au BSDQ
Le BSDQ décrit son objectif principal comme étant « d’assainir la concurrence et de protéger les entrepreneurs contre les pratiques déloyales, tout en faisant bénéficier les maîtres de l’ouvrage de l’efficience des marchés. (…) Il s’assure de l’application de règles équitables et uniformes pour tous ses usagers ».
L’entrepreneur spécialisé qui dépose une soumission par l’entremise du BSDQ assume généralement les risques associés aux fluctuations de coût des matériaux.
Nous estimons que l’entrepreneur spécialisé ne peut déposer une soumission contenant une faculté d’augmenter son prix. Cela irait à notre avis à l’encontre de l’esprit et de la nature même du principe d’égalité des soumissionnaires et de l’uniformité des règles.
Cela dit, il est important de bien analyser les documents d’appel d’offres afin de vérifier s’il est permis aux entrepreneurs de faire des réserves quant au prix du projet. Il est en effet possible que les documents d’appel d’offres prévoient que les soumissionnaires puissent établir le prix sur la base d’un taux ou d’un prix variable selon certains matériaux dont le prix peut fluctuer. Cependant, il est important que les balises d’un ajustement potentiel du prix soient prévues à même les documents d’appel d’offres et disponibles à l’ensemble des soumissionnaires. Toutefois, si l’appel d’offres requiert un prix fixe, nous estimons que la clause d’une soumission prévoyant un ajustement du prix serait invalide. Cette soumission devrait donc être rejetée au motif de non-conformité et ce serait alors le deuxième plus bas soumissionnaire qui se verrait octroyer le contrat.
Effectivement, dans la cause Transport Deschaillons inc., la Cour Supérieure a analysé ce type de clause d’ajustement dans le contexte d’un appel d’offres exigeant un prix fixe. Le soumissionnaire qui s’est vu octroyer le contrat avait prévu une clause d’indexation à sa soumission. Selon la Cour, en agissant ainsi, le plus bas soumissionnaire avait imposé au donneur d’ouvrage des conditions que celui-ci ne voulait pas assumer, soit une fluctuation des prix. La Cour précise que cet ajout à la soumission est considéré comme une irrégularité majeure en raison de son effet direct sur le prix de la soumission. La Cour conclut en affirmant que d’accepter une telle soumission viendrait rompre l’équilibre des soumissionnaires et ordonne que la soumission soit rejetée.
Pour être annulée, une soumission doit contenir une irrégularité dite « majeure ». Dans la cause R.P.M. Tech inc. c. Gaspé (Ville) la Cour d’appel affirme que pour répondre à cette question, le facteur déterminant est celui de l’égalité des soumissionnaires. Si l’irrégularité soulevée a un effet sur le prix, elle a comme conséquence de rompre cet équilibre qui représente l’un des principes directeurs du processus d’adjudication des contrats par voie de soumissions publiques.
Dans la cause Hydro-Québec c. Entreprises Bon Conseil Ltée, la Cour d’appel conclut qu’il appartient au soumissionnaire de démontrer que sa soumission ne comporte aucune irrégularité majeure.
Malgré que ces trois décisions ne faisaient pas l’objet d’un processus de soumissions au BSDQ, le principe d’égalité des soumissionnaires qui est reconnu par les tribunaux est clairement inclus dans le Code des soumissions du BSDQ. Voici d’ailleurs ce qu’affirme le juge Pidgeon dans la décision de la Cour d’appel Alta ltée c. Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec. À propos du Code du BSDQ :
« À mon avis, le Code n’est rien d’autre qu’un document contractuel dont les dispositions, compte tenu du milieu dans lequel elles s’appliquent sont loin d’être déraisonnables. Au contraire, elles revêtent un caractère d’ordre public en ce qu’elles visent à assurer une parfaite égalité des chances entre les soumissionnaires et le maintien d’une concurrence loyale. »
Dans l’ouvrage, Développements récents en droit de la construction (2010) Le B.S.D.Q. : les principales causes découlant de son application, il est d’ailleurs indiqué que toute non-conformité ou toute irrégularité susceptible de modifier l’ordre des soumissionnaires BSDQ doivent entraîner obligatoirement le rejet de la soumission irrégulière.
Ces principes se reflètent également dans certains articles du Code de soumissions du BSDQ, notamment à l’article J-1 et l’article J-6. Cette dernière disposition prévoit exceptionnellement la possibilité d’attribuer un contrat à un soumissionnaire non conforme si « cette non-conformité n’était pas suffisamment significative pour changer le fait que le prix de la soumission de ce dernier était le plus bas ».
Conclusion
À notre avis, une clause de réserve quant au prix prévu à une soumission alors que les documents d’appel d’offres ne prévoyaient aucune condition de variation de ces prix rendrait la soumission invalide pour cause de non-conformité.
Il est primordial de comprendre que l’un des objectifs principaux du processus d’adjudication des contrats par voie de soumissions publiques sous l’égide du BSDQ est d’obtenir une certitude quant au prix global d’un projet déterminé. Permettre l’inclusion de clauses d’indexation des prix ouvrirait la porte à une instabilité du processus et encouragerait les abus.
Dans l’éventualité où l’appel d’offres prévoyait une possibilité de majoration du prix en fonction du coût des matériaux, les exigences devront être claires. Ce sera au donneur d’ouvrage d’établir les balises d’indexation afin que l’ensemble des soumissionnaires présente leur offre sur la même base de calcul. Sans cela, aucun ajustement du prix du contrat ne devrait être accepté et la soumission qui contient une telle condition devrait être rejetée.
Malgré ces réserves, nous sommes conscients que les entrepreneurs spécialisés sont des gens d’affaires et ce sera à chacun de prévoir le risque qu’il est prêt à assumer, afin de se voir octroyer un certain contrat dont la valeur ne peut varier dans le temps. Maintenant commence toute la question des extras…
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